mercredi 13 février 2013

« Quelles valeurs inculquer à la Jeunesse ivoirienne ? (*)»



 Alain LOBOGNON, Ministre de la Promotion de la Jeunesse, des Sports et Loisirs de la République de Côte d'Ivoire




« Être jeune, c’est avoir une âme, c’est-à-dire pas seulement des souvenirs et un destin, mais un avenir véritable qui ne ressemble ni au passé ni au présent, qui soit une véritable création, une participation à l’invention du futur  GARAUDY Roger, Parole d’homme, Paris, Robert Laffont, 1975, p. 11 






*       *       *


              Je parle en témoin d’une époque dont je suis le produit. La mission d’intellectuel, dont je veux me prévaloir, m’y autorise, la charge de leader d’association de jeunesse m’y oblige. Assurément, les problèmes de la société sont les miens comme Homme et comme Citoyen. C’est donc, pour parler comme Stéphane Hessel en « indigné » que je fais cette contribution. Il est aisé de constater le « drame » que vit la jeunesse ivoirienne. En effet, C’est un truisme d’affirmer que la Jeunesse ivoirienne est au cœur de la crise socio-politique que vit notre pays depuis au moins les années 90.  Il faut préciser que la jeunesse ivoirienne ne fait nullement exception dans sa révolte contre la société car « la jeunesse est partout rebelle. (1)»  C’est un fait que toutes les sociétés qui connaissent des crises profondes comme la nôtre s’interrogent sur le sens et la construction des valeurs sur lesquelles elles ont bâti leur « paradigme structurelle » (Edgar Morin) de fonctionnement. Le plus difficile n’est pas toujours de résoudre les problèmes ; c’est parfois de les poser. Il faut donc, comme le disait le pasteur Dietrich Benhoeffer « risquer de dire des choses contestables, pourvu que les questions vitales soient soulevées. » La question des valeurs est extrêmement complexe car « Nous passons une bonne partie de notre temps à émettre des jugements de valeur – « X est bon, mauvais, légitime, illégitime, etc » – et dans la plupart des cas, nous les émettons parce que nous y croyons. (2)». Selon le théologien et philosophe français Jacques Ellul « La crise de notre époque actuelle, est une crise des valeurs.» Pour lui quand plus rien ne semble avoir de sens, c’est que nos valeurs ont cessé de faire l’unanimité et sont à la dérive. Le phénomène de perte des valeurs est lisible dans la perte des repères dont souffre la jeunesse (3). Je ne m’attarderai pas ici sur les définitions conceptuelles de termes eux-mêmes polysémiques comme ceux de Jeunesse et de Valeur. Chacun sait plus ou moins à quoi renvoient ces notions. Je vais simplement tenter d’énumérer quelques valeurs dont je suis convaincu de l’indispensabilité de les inculquer à la jeunesse ivoirienne car « c’est le maillon le plus faible (parce que le moins intégré, entre le cocon de l’enfance et l’insertion dans les cadres adultes) mais aussi le plus fort de la société (parce que doté des plus grandes énergies, des plus fortes aspirations, des plus grandes capacités de révoltes). C’est une force qui peut être explosive et émancipatrice, mai aussi ravageuse et destructrice quand elle est rejetée et ghettoïsée.(4)». Bien entendu, à l’évidence, cette liste n’est nullement exhaustive donc ne saurait être clause.


1-La responsabilité

Il  n’y a pas d’avenir par procuration. La jeunesse ivoirienne doit prendre conscience que son destin est entre ses mains. Si elle se fait séduire par des marchands d’illusions, elle détruira ses propres chances. Si elle représente une grande majorité de la population, cela lui impose bien des Devoirs plus que des droits. Certes  le Gouvernement doit aussi savoir que son plus grand défi demeure le chômage des jeunes. A cette Jeunesse j’aimerais tout simplement dire que l’Avenir de notre pays est entre ses mains, aucun de nous s’il n’apporte son engagement personnel à l’amélioration de ce futur ne pourra accuser un autre de l’échec collectif.



         2- Le Travail

Dans nos sociétés minées par le chômage chronique de la jeunesse il est un paradoxe bien étrange : la désaffection pour le travail si bien qu’il a été un temps, où une bien curieuse expression était en vogue : « Relations vaut mieux que diplôme.» Nous ne disons pas qu’il vaille construire une société méritocratique mais que des valeurs consubstantielles au travail telles que le gout de l’effort, le courage, le mérite, l’excellence, la saine émulation, la confiance en soi et l’estime de soi, la citoyenneté, le patriotisme vrai…soient promues. 


3- La Tolérance


Il y a trop de fanatisme par conséquent d’intolérance dans la société ivoirienne. De façon assez simple on peut dire que la tolérance consiste à s’abstenir d’intervenir dans l’action ou l’opinion d’autrui, quoiqu’on ait le pouvoir de le faire, et bien qu’on désapprouve ou que l’on apprécie pas l’action ou l’opinion en question. L’étymologie du mot lui-même révèle tout son sens, tolérance vient de tolérer, qui lui vient du mot latin tolerare (supporter). François Jacob nous prévenait en ces termes : « Rien n’est aussi dangereux que la certitude d’avoir raison. Rien ne cause autant de destruction que l’obsession d’une vérité considérée comme absolue. Tous les crimes de l’histoire sont des conséquences de quelque fanatisme. Tous les massacres ont été accomplis par vertu, au nom de la religion vraie, du nationalisme légitime, de la politique idoine, de l’idéologie juste ; bref au nom du combat contre la vérité de l’autre, du combat contre Satan. (5)» Nul en vérité ne saurait condamner le patriotisme comme amour de la patrie car dulce et decorum est pro patria mori (« il est beau et doux de mourir pour la patrie » Horace, Odes, III, 2,13). Il convient de bien distinguer les vibrations patriotiques émotionnelles belliqueuses et bellicistes à forte fragrance de chauvinisme d’un patriotisme véritablement citoyen.



4- La Culture de la Paix


  L’expression « Culture de  la  Paix »  a  vu  le  jour  au  cœur  de  l’Afrique,  plus  précisément  à Yamoussoukro  en  Côte d’Ivoire,  au  Congrès  international  sur  la  paix  dans l’esprit des hommes réuni sur l’initiative de l’Unesco du 26 juin au 1er juillet 1989. La  culture  de  la  paix  a  été  inscrite  au  monde  des  programmes  officiels  de l’UNESCO en 1995. Pour l’Unesco « la Culture de la Paix comme une culture de convivialité et du partage fondée sur les principes de liberté, de justice et de démocratie, de tolérance et de solidarité. Une culture qui rejette la violence et qui s’attache à prévenir les conflits à leur source et à résoudre ses conflits par le dialogue et la négociation.» Il faut savoir qu’aucune société ne peut exister sans conflit mais pour la gestion de ces conflits il faut utiliser la négociation pour ne pas que ces conflits ne dégénèrent pas en violence ou pour parler comme le Dr. Simplice Dion : « prescrire les armes de la dialectique et proscrire la dialectique des armes.» Comme l’a si bien écrit le poète et ancien bibliothécaire du Congrès américain, Archibald Mac-Leish dans le préambule de la Charte de l’Unesco : « Les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent d’être élevées les défenses de la paix ».

            En conclusion on peut retenir que la tâche d’éducation de la jeunesse ivoirienne est plus qu’urgente. Il appartient aux autorités dont c’est le devoir régalien de veiller à ce que la Jeunesse ivoirienne ait des modèles symbolisant ces quelques valeurs ci-dessus brièvement développées car« une société qui renonce à prendre en charge sa jeunesse et à la doter des outils d’une promotion optimale, enterre son propre avenir. C’est une société suicidaire. (6)»



NOTES :

(1)- GARAUDY Roger, L’Alternative, Paris, Robert Laffont, 1972, p.16
(2)- BOUDON Raymond, Le sens des valeurs, Paris, Puf, 1999, p. 7

(3)- Cf. BOUDON Raymond, Déclin de la morale ? Déclin des valeurs ?, Paris, Puf, 2002, 112 p.

(4)- HESSEL Stéphane, MORIN Edgar, Le chemin de l’espérance, Paris, Fayard, 2011, p. 33

(5)- FRANÇOIS Jacob, Le Jeu des possibles : essai sur la diversité du vivant, Paris, Fayard, 1981,p.12

(6)- KI-ZERBO Joseph, Eduquer ou périr, Paris, Unesco, 1990, p. 15




 (*) Publié dans le quotidien gouvernemental :

Fraternité Matin, N°14.439 du mercredi 16 janvier 2013, p. 3 – Première partie
Fraternité Matin, N°14.440 du jeudi 17 janvier 2013, p. 3 – Deuxième partie


*** Extrait d'un livre à PUBLIER : " La Jeunesse ivoirienne en accusation "
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire