jeudi 2 avril 2015

Internet et les Métamorphoses contemporaines de la Démocratie


Internet pose aux démocraties africaines un problème et un projet

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Hannah Arendt, philosophe politique,  écrit : « La pensée elle-même naît d’événements de l’expérience vécue et doit leur demeurer liée comme aux seuls guides propres à l’orienter.» La réflexion ici déployée est née du fait suivant : le 8 décembre 2014, M. Coulibaly Mamadou, commerçant de profession, a sollicité et obtenu une audience avec le Président de l’Assemblée nationale (PAN) de Côte d’Ivoire Guillaume Soro. Et ce, après seulement quelques minutes d’échanges sur Twitter avec ce dernier.  Ce qui nous amène à poser le rapport de la Démocratie à Internet.


Les opportunités politiques d’Internet


L’idée qu’internet puisse être un instrument de progrès politique n’est pas nouvelle. A l’époque de la crise de la représentation démocratique internet suscite l’espérance d’une revitalisation des systèmes politiques. Dans son ouvrage La démocratie Internet. Promesses et limites, le sociologue Dominique Cardon écrit que « Le développement d’internet bouleverse notre conception et notre pratique de la démocratie. A l’heure du numérique, la démocratie a changé de visage. Internet ne permet pas seulement de communiquer davantage, il élargit formidablement l’espace public et transforme la nature même de la démocratie. (1) » Quant à Isabelle Falque-Pierrotin, Conseiller d’Etat en France et Présidente du Forum des droits sur l’Internet, dans une communication intitulée «Qu’apporte Internet à la démocratie ? Est-il une aide ou un danger ? » présentée devant l’Académie des Sciences Morales et Politiques le 11 octobre 2010 elle affirmait ceci : «  Internet est devenu un puissant outil de contre-pouvoir. Il faut réaliser qu’internet façonnera les démocraties du 21e siècle et non l’inverse. On ne pourra pas gouverner au 21e siècle comme au 20e siècle.» A notre avis internet à trois atouts majeurs dans son rapport à la démocratie en Afrique. D’abord il offre l’opportunité de la diminution des coûts de diffusion de l’information permettant la vigilance des citoyens quant au contrôle de l’action publique. Ensuite internet facilite l’action politique en réduisant les contraintes (manque de temps, distance entre individus) qui entravent habituellement l’engagement civique. Enfin internet est un lieu de débat, une réplique électronique de l’agora athénienne par de nouvelles formes de participation politique. « La parole publique ne reste plus sans réponse, dans une posture d’autorité imposant à son public silence et déférence. Elle peut désormais être commentée, critiquée, raillée, transformée par un grand nombre de personnes autrefois jugées inaptes ou ignorantes. (2)» Internet favorise une interaction plus grande entre gouvernants et gouvernés et permettrait aux citoyens de participer à la vie de la cité et annoncerait donc l’émergence d’une cyberdémocratie (ou e-démocratie) et du cybermilitantisme(3). Des personnes qui partagent un intérêt commun peuvent débattre sur tous les sujets et même entrer en contact grâce aux réseaux sociaux (facebook, twitter...) La révolution numérique, qui s’accélère sous nos tropiques, est donc une aubaine dans la mesure où elle offre de nouvelles opportunités à la classe politique et à la population en contexte démocratique.


Limites de la « démocratie internet » ou cyberdémocratie (e-démocratie)


Internet a des inconvénients et peut agir négativement sur notre démocratie. Il est  inutile de disserter ici sur les méfaits de la cybercriminalité sur notre économie et l’image de notre pays à cause de l’action des « brouteurs ». Disons que la première limite à l’éclosion d’une cyberdémocratie est le pourcentage de la population pouvant accéder à internet vu le taux encore important des personnes ne sachant ni lire ni écrire à plus forte raison pouvant aller sur internet. La « fracture numérique » encore forte faisant que l’utilisation d’internet est réservée à une minorité s’y connectant régulièrement. La deuxième limite est celle que Tzvetan Todorov développe dans son dernier livre Les ennemis intimes de la démocratie (Robert Laffont, 2012, 271 p.). Pour ce dernier, une société où l’hypermédiatisation de la vie publique règne court le grand risque d’une manipulation permanente de l’opinion donc du citoyen par la classe politique via les médias. Or internet est sous la gestion politique des gouvernants  qui peuvent en contrôler (interdire) l’accès comme les sites autorisés à être visités. La troisième limite est celle de l’encadrement juridique d’internet et de ses utilisateurs. S’il est vrai qu’internet offre une grande liberté d’échange, de critique et de mobilisation il est évident que tout n’y serait pas permis en terme de divulgation de rumeurs et d’information touchant à l’ordre public et à la sécurité de l’Etat. Il ne faudrait donc pas qu’Internet soit un média sans contrôle démocratique car en s’affranchissant des frontières, il pose le problème du contrôle des serveurs et des sites comme des usagers.
En cette année électorale puisse le personnel politique ivoirien être à même de saisir l’opportunité politique d’internet. Le fulgurant développement d’internet nous impose l’urgence d’en comprendre les enjeux et d’en penser le rapport à notre démocratie.


NOTES


1) Dominique Cardon, La démocratie Internet. Promesses et limites, Éd. du Seuil, 2010, p. 7
2) Dominique Cardon, La démocratie Internet pp. 10-11
3)» Dominique Cardon, « Vertus démocratiques de l’Internet », URL : http://www.laviedesidees.fr/Vertus-democratiques-de-l-Internet.html, lien consulté le 31 décembre 2014 à 22 h 40 mn