samedi 16 février 2013

Au commencement était … l’école




Dr. DION Yodé Simplice

            J’ai eu l’honneur et le plaisir de prononcer, il y a quelques mois, une conférence sur le thème suivant : « Contributions de la philosophie à l’avènement d’une Côte d’Ivoire émergente. » Sujet d’une brûlante actualité, dirons-nous. D’autant que nos gouvernants actuels disent avoir l’ambition de faire de notre pays, la Côte d’Ivoire, un pays émergent à l’horizon 2020. Noble projet que celui de voir enfin ce beau pays, ce grand pays – de par ses potentialités naturelles et ses ressources humaines – sortir de l’ornière.

Côte d’Ivoire, pays émergent. Comme Taiwan, Singapour ou la République de Corée. Mais ces pays émergents sont justement la preuve éclatante qu’on n’émerge pas seulement parce qu’on est submergé de pétrole, parce qu’on est premier producteur mondial de café, de cacao ou de manganèse ! Oui, l’économie d’un pays peut reposer sur l’agriculture ! Oui, l’économie d’un pays peut reposer sur le nickel ou la bauxite ! Mais le développement d’un pays repose toujours sur l’éducation ! On émerge d’abord parce qu’on a la volonté d’émerger. Or, en la matière, il y a beaucoup plus de velléités que de volitions. On émerge ensuite parce qu’on a un projet, une vision du futur souhaitable. Enfin, on s’éduque au vouloir-émerger comme on s’éduque à la démocratie. On (s’) éduque à l’excellence. Ainsi apparaît l’éducation, la clé de tout développement. Ma conviction est qu’un homme, aussi génial soit-il, ne peut faire émerger un peuple du labyrinthe où l’attend le Minotaure du sous-développement.

Il faut le secours du fil d’Ariane de l’école. Une école nouvelle avec une vision nouvelle de l’homme ivoirien. Une école qui forme à l’excellence. Or, l’école excellente est faite d’animateurs excellents. Parce que du rien ne peut sortir que le rien. Et pour ces milliers d’enseignants, d’éducateurs, de gestionnaires de l’école, l’excellence ne doit pas être un vain mot, mais un comportement. Leur mission doit être de discerner et susciter en nos enfants les linéaments de la volonté de puissance, de l’invention, la bref, de l’excellence. Il y a des routes qui nous conduisent plus loin que d’autres et n’importe quel système éducatif ne nous entraîne pas vers les cimes de l’excellence.

Ainsi parle le Prophète Al Mustapha :
« Vous êtes les arcs qui projettent vos enfants telles des flèches vivantes. L’Archer voit la cible sur le chemin de l’infini, et Il vous courbe avec toute Sa force pour que Ses flèches aillent vite et loin. Que cette courbure, dans les mains de l’Archer, tende à la joie; Car comme Il aime la flèche qui vole, Il aime aussi l’arc qui est stable » (Gibran).

En vérité, si le cerveau de l’enfant, comme dit Plutarque, n’est pas un vase qu’il faut remplir, mais un foyer qu’il faut échauffer, alors une éducation, annonciatrice d’une émergence et d’une supériorité futures, ne saurait se faire avec des arcs défaillants, c’est-à-dire des formateurs dévalorisés et clochardisés, ballottés par le tumulte d’une existence agitée par des problèmes existentiels. L’éducateur qui a faim ne saurait être un éducateur parfait. Car, quand toute la société a échoué, l’école et ses animateurs demeurent la dernière poche de moralité : « On n’enseigne pas ce que l’on sait. On n’enseigne pas ce que l’on veut. On enseigne ce que l’on est » (Jean- Jaurès). Un pays qui veut émerger crée les conditions de son émergence. Autant l’Archer est en droit d’exiger de l’arc, autant il doit en prendre soin s’il veut en tirer le maximum de tension. Autant nous sommes en droit de demander aux formateurs d’éduquer nos jeunes à l’excellence, autant la justice du cœur – et la justesse de la pensée – commande qu’on les installe dans des conditions idoines et idéales pour performer. Et comme l’école est le lieu, par excellence, de la culture de l’excellence, il faut que ses animateurs soient écoutés, considérés, restaurés dans leur dignité, choyés même, au lieu d’être vilipendés et anathématisés. Un jour de fête du travail, on leur a même jeté au visage qu’ils n’étaient que des parasites sociaux et que les vrais producteurs de richesses (policiers, douaniers et agents des impôts) n’avaient nul besoin de doctorats et autres parchemins superflus dans la nouvelle Cité idéale africaine. Cité hédoniste et économocentriste où seul l’argent frais et clinquant est la mesure de toutes choses, à la fois thermomètre et thermostat du bonheur social. J’en ai ri. Parce qu’il faut rire de pareilles sottises. Voilà comment, depuis une décennie au moins, parce que l’arc a été abandonné à l’instabilité, les jeunes ivoiriens sont devenus des flèches enflammées qui embrasent la Cité.

Voilà pourquoi il faut redonner de la dignité à l’école ivoirienne et à ses animateurs. Il n’y a pas de développement sans une éducation performante et adéquate. Penser que nos pays pourront émerger un jour, comme par un coup de baguette magique, en laissant l’école et ses animateurs sur le bord du chemin, c’est faire fausse route. « Le parfum dont l’argile a été une fois imprégnée, elle le conservera longtemps » (Horace).


Dr. DION Yodé Simplice,
Enseignant-Chercheur au Département de Philosophie à l’Université Félix Houphouët-Boigny


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1 Auteur de « Les paroles ou balles… Convertir ou punir le tyran ? » (Abidjan, Ed. Balafons, 2012) et de « Jours de châtiments » (Ed. L’Harmattan, 2012).

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