|
Alain LOBOGNON, Ministre de la Promotion de la Jeunesse, des Sports et Loisirs de la République de Côte d'Ivoire |
« Être jeune, c’est avoir une âme, c’est-à-dire pas seulement des
souvenirs et un destin, mais un avenir véritable qui ne ressemble ni au passé
ni au présent, qui soit une véritable création, une participation à l’invention
du futur.» GARAUDY
Roger, Parole d’homme, Paris, Robert Laffont,
1975, p. 11
* *
*
Je parle en témoin d’une époque dont je suis le produit. La mission
d’intellectuel, dont je veux me prévaloir, m’y autorise, la charge de leader
d’association de jeunesse m’y oblige. Assurément, les problèmes de la société
sont les miens comme Homme et comme Citoyen. C’est donc, pour parler comme
Stéphane Hessel en « indigné »
que je fais cette contribution. Il est aisé de constater le « drame » que vit la jeunesse
ivoirienne. En effet, C’est un truisme d’affirmer que la Jeunesse ivoirienne
est au cœur de la crise socio-politique que vit notre pays depuis au moins les
années 90. Il faut préciser que la
jeunesse ivoirienne ne fait nullement exception dans sa révolte contre la
société car « la jeunesse est
partout rebelle. (1)» C’est un fait que toutes les sociétés qui
connaissent des crises profondes comme la nôtre s’interrogent sur le sens et la
construction des valeurs sur lesquelles elles ont bâti leur « paradigme structurelle » (Edgar
Morin) de fonctionnement. Le plus difficile n’est pas toujours de résoudre les
problèmes ; c’est parfois de les poser. Il faut donc, comme le disait le
pasteur Dietrich Benhoeffer « risquer de
dire des choses contestables, pourvu que les questions vitales soient
soulevées. » La question des valeurs est extrêmement complexe car
« Nous passons une bonne partie de
notre temps à émettre des jugements de valeur – « X est bon, mauvais, légitime, illégitime, etc » – et dans la
plupart des cas, nous les émettons parce que nous y croyons. (2)». Selon le théologien et philosophe
français Jacques Ellul « La crise de notre époque actuelle, est une
crise des valeurs.» Pour lui
quand plus rien ne semble avoir de sens, c’est que nos valeurs ont cessé
de faire l’unanimité et sont à la dérive. Le phénomène de perte des valeurs est
lisible dans la perte des repères dont souffre la jeunesse (3). Je ne m’attarderai pas ici sur les définitions conceptuelles
de termes eux-mêmes polysémiques comme ceux de Jeunesse et de Valeur.
Chacun sait plus ou moins à quoi renvoient ces notions. Je vais simplement
tenter d’énumérer quelques valeurs dont je suis convaincu de l’indispensabilité
de les inculquer à la jeunesse ivoirienne car « c’est le maillon le plus faible (parce que
le moins intégré, entre le cocon de l’enfance et l’insertion dans les cadres
adultes) mais aussi le plus fort de la société (parce que doté des plus grandes
énergies, des plus fortes aspirations, des plus grandes capacités de révoltes).
C’est une force qui peut être explosive et émancipatrice, mai aussi ravageuse
et destructrice quand elle est rejetée et ghettoïsée.(4)». Bien entendu, à l’évidence, cette liste n’est nullement
exhaustive donc ne saurait être clause.
1-La responsabilité
Il n’y a pas d’avenir par procuration. La
jeunesse ivoirienne doit prendre conscience que son destin est entre ses mains.
Si elle se fait séduire par des marchands d’illusions, elle détruira ses propres
chances. Si elle représente une grande majorité de la population, cela lui
impose bien des Devoirs plus que des droits. Certes le Gouvernement doit aussi savoir que son
plus grand défi demeure le chômage des jeunes. A cette Jeunesse j’aimerais tout
simplement dire que l’Avenir de notre pays est entre ses mains, aucun de nous
s’il n’apporte son engagement personnel à l’amélioration de ce futur ne pourra
accuser un autre de l’échec collectif.
2- Le Travail
Dans nos sociétés minées
par le chômage chronique de la jeunesse il est un paradoxe bien étrange :
la désaffection pour le travail si bien qu’il a été un temps, où une bien
curieuse expression était en vogue : « Relations vaut mieux que
diplôme.» Nous ne disons pas qu’il vaille construire une société méritocratique
mais que des valeurs consubstantielles au travail telles que le gout de
l’effort, le courage, le mérite, l’excellence, la saine émulation, la confiance
en soi et l’estime de soi, la citoyenneté, le patriotisme vrai…soient promues.
3- La Tolérance
Il y a trop de fanatisme
par conséquent d’intolérance dans la société ivoirienne. De façon assez simple
on peut dire que la tolérance consiste à s’abstenir d’intervenir dans l’action
ou l’opinion d’autrui, quoiqu’on ait le pouvoir de le faire, et bien qu’on
désapprouve ou que l’on apprécie pas l’action ou l’opinion en question.
L’étymologie du mot lui-même révèle tout son sens, tolérance vient de tolérer,
qui lui vient du mot latin tolerare
(supporter). François Jacob nous prévenait en ces termes : « Rien n’est aussi dangereux que la certitude
d’avoir raison. Rien ne cause autant de destruction que l’obsession d’une
vérité considérée comme absolue. Tous les crimes de l’histoire sont des
conséquences de quelque fanatisme. Tous les massacres ont été accomplis par
vertu, au nom de la religion vraie, du nationalisme légitime, de la politique
idoine, de l’idéologie juste ; bref au nom du combat contre la vérité de
l’autre, du combat contre Satan. (5)»
Nul en vérité ne saurait condamner le patriotisme comme amour de la patrie car dulce et decorum est pro patria mori (« il
est beau et doux de mourir pour la patrie » Horace, Odes, III, 2,13). Il convient de bien distinguer les vibrations
patriotiques émotionnelles belliqueuses et bellicistes à forte fragrance de
chauvinisme d’un patriotisme véritablement citoyen.
4- La
Culture de la Paix
L’expression « Culture de la
Paix » a vu le jour
au cœur de
l’Afrique, plus précisément
à Yamoussoukro en Côte d’Ivoire, au
Congrès international sur
la paix dans l’esprit des hommes réuni sur
l’initiative de l’Unesco du 26 juin au 1er juillet 1989.
La culture de
la paix a
été inscrite au
monde des programmes
officiels de l’UNESCO en 1995. Pour l’Unesco « la Culture de la Paix comme une culture de
convivialité et du partage fondée sur les principes de liberté, de justice et
de démocratie, de tolérance et de solidarité. Une culture qui rejette la
violence et qui s’attache à prévenir les conflits à leur source et à résoudre
ses conflits par le dialogue et la négociation.» Il faut savoir qu’aucune
société ne peut exister sans conflit mais pour la gestion de ces conflits il
faut utiliser la négociation pour ne pas que ces conflits ne dégénèrent pas en
violence ou pour parler comme le Dr. Simplice Dion : « prescrire les armes de la dialectique et proscrire la dialectique des
armes.» Comme l’a si bien écrit le poète et ancien bibliothécaire du
Congrès américain, Archibald Mac-Leish dans le préambule de la Charte de
l’Unesco : « Les guerres
prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que
doivent d’être élevées les défenses de la paix ».
En conclusion on peut retenir que
la tâche d’éducation de la jeunesse ivoirienne est plus qu’urgente. Il
appartient aux autorités dont c’est le devoir régalien de veiller à ce que la
Jeunesse ivoirienne ait des modèles symbolisant ces quelques valeurs ci-dessus
brièvement développées car« une société
qui renonce à prendre en charge sa jeunesse et à la doter des outils d’une
promotion optimale, enterre son propre avenir. C’est une société suicidaire. (6)»
NOTES :
(1)-
GARAUDY
Roger, L’Alternative, Paris, Robert
Laffont, 1972, p.16
(2)- BOUDON Raymond, Le sens des valeurs, Paris, Puf, 1999,
p. 7
(3)- Cf. BOUDON Raymond, Déclin de la morale ? Déclin des valeurs ?, Paris, Puf,
2002, 112 p.
(4)- HESSEL Stéphane, MORIN Edgar, Le chemin de l’espérance, Paris, Fayard, 2011, p. 33
(5)- FRANÇOIS
Jacob, Le Jeu des possibles : essai
sur la diversité du vivant, Paris, Fayard, 1981,p.12
(6)-
KI-ZERBO Joseph, Eduquer ou périr,
Paris, Unesco, 1990, p. 15
(*) Publié
dans le quotidien gouvernemental :
Fraternité Matin,
N°14.439 du mercredi 16 janvier 2013, p. 3 – Première partie
Fraternité Matin,
N°14.440 du jeudi 17 janvier 2013, p. 3 – Deuxième partie
*** Extrait d'un livre à PUBLIER : " La Jeunesse ivoirienne en accusation "