lundi 28 janvier 2013

« Qu’est-ce que la PAIX ?(*) »



« La paix, ce n’est pas un vain mot, c’est un comportement. » 
«On n’oublie souvent qu’il est plus facile de faire la guerre que de faire la paix. Et quand le dialogue n’a pas fait l’économie de la guerre un jour il faudrait mettre fin à cette guerre. Il faudrait recourir à la négociation et au dialogue mais dans des conditions difficiles après la destruction de tant de vie humaine et de biens matériels. »
Félix HOUPHOUËT-BOIGNY  


***

            Qu’est-ce que la Paix ? D’ailleurs pourquoi une telle question devrait-elle être posée. Laissons Paul Veyne nous proposer une réponse digne d’intérêt : «Non le débat n’est pas vain de savoir si l’histoire est une science, car « science » n’est pas un noble vocable ; mais un terme précis et l’expérience prouve que l’indifférence pour le débat de mots s’accompagne ordinairement d’une confusion d’idées sur la chose.» Ainsi s’interrogeait-il dans son ouvrage Comment on écrit l’histoire. Ne serait-il pas légitime d’en faire de même pour la Paix ? Nous n’en doutons pas. Aussi il est obligatoire mener ce débat au moment où nous entendons encore des bruits de guerre et des rumeurs de reprise de la guerre. De plus, il est de plus en plus d’intellectuels qui constatent une progression de l’incertitude dans la Pensée. Selon leurs thèses nous sommes de plus en plus incertain des acquis des sciences dont nous étions sûrs il n’y a pas si longtemps. Les Anciens Romains affirmaient : « Sapiens nihil affirmat quod non probet (1)». Edgar Morin, éminent sociologue et philosophe français, ardent promoteur de la « pensée complexe » (Cf. MORIN Edgar, Introduction à la pensée complexe, Paris, Seuil, 2005, 158 p) écrivait quant à lui: « Tout, dans ce monde est en crise. Dire crise, c’est dire, nous l’avons vu, progression des incertitudes. Partout, en tout, les incertitudes ont progressé.(2)» Etant un étudiant en Histoire et de surcroit passionné de l’Antiquité, c’est donc naturellement cette période qui inspirera notre réflexion.  Disons d’abord que c’est une entreprise périlleuse et risquée de disserter sur la Paix car c’est une notion complexe qu’illustre son étymologie. Ensuite il est moins aisé de penser la Paix que la guerre car elle passe inaperçue, sauf lorsqu’elle est menacée ou lorsqu’elle est ardemment souhaitée en temps de guerre. On ne pense plus à la Paix lorsqu’on en jouit. La guerre est facile à connaître. Elle exerce même une fascination sur les hommes, au point que l’Histoire n’a d’abord retenu du passé que les batailles et les récits des guerres. Sur 3400 ans d’Histoire connue et maitrisée de l’humanité, les humains n’ont vécu qu’environ 240 années de Paix.  L’imaginaire humain est donc davantage occupé par la guerre que par la paix. Une comparaison l’illustre. Pour désigner l’homme de guerre, celui dont la guerre est le métier, il y a un mot : le « guerrier ». Il n’y a pas d’équivalent pour désigner l’homme de paix, susceptible de promouvoir la paix et de veiller sur elle, ou plutôt il y a deux termes insuffisants : le « pacificateur » qui réussit à mettre fin à une guerre ; le « pacifiste » qui, épris de paix, n’est pas déséquilibré dans notre imaginaire et dans notre inconscient, où la guerre a occupé pendant des siècles une place privilégiée par rapport à la paix. Pour illustrer cette dissymétrie, consultons les dictionnaires et les index. Dans le Grand Larousse en cinq volumes, le mot « guerre » a droit à 120 lignes de texte, le mot « paix » à 40 lignes. Dans le Dictionnaire des citations françaises, il y a 99 entrées sur la guerre, 33 sur la paix. Dans l’ouvrage de Raymond Aron, le titre bien balancé Paix et guerre entre les nations (1961) laisse présager un bel équilibre entre les deux notions ; or, dans l’index, on compte 120 entrées pour le mot « guerre », 40 pour le mot « paix ».  Définir la paix par rapport à la guerre n’est pas satisfaisant. Il existe des situations de non-guerre qui ne sont pas la paix. D’où de nombreuses tentatives pour mieux cerner la paix. De la recherche de la paix, on passe aux recherches sur la paix, qui suivent deux orientations. Ainsi donc des sociologues inventent deux néologismes dans le cadre de leurs recherches :
La polémologie, néologisme créé par le sociologue français Gaston Bouthoul. Elle a pour objet l’étude scientifique des guerres, des paix et des conflits, selon l’adage « Si vis pacem, stude bellum » (Si tu veux la paix, étudie la guerre). Bouthoul propose une définition statistique : «  La paix est l’état d’un groupe humain souverain dont la mortalité ne comporte pas une part importante d’homicide collectifs organisés et dirigés. »
               L’irénologie, suivant le précepte du sociologue norvégien Johann Galtung, qui distingue la paix négative – c’est-à-dire l’absence de guerre – et la paix positive, qui repose essentiellement sur la justice : « Si tu veux la paix, agis pour la justice ».
Revenons donc à la conception antique de la paix en nous demandant que pensaient les Anciens de la Paix ? En effet, Grecs et Romains, avaient plusieurs divinités allégoriques auxquelles ils vouaient des cultes(3). Ainsi en est-il de la Victoire, la Santé, la Sagesse, l’Espérance, l’Amitié, Mnémosyne ou la Mémoire, la Discorde et bien sûr la Paix. Cette dernière, la Paix, a été divinisé par les Grecs sous le nom d’Irène «Ειρήνη (Eirénè)». Aristophane donne à la Paix, pour compagne, Vénus et les Grâces. Dans la mythologie, Eirénè est la fille de Zeus (dieu suprême du panthéon grec) et Thémis (déesse de la Justice), l’une des trois (ou cinq) Heures(4) et incarne la Paix.  Eirénè était donc la déesse de la Paix et aussi la saison du printemps (EIAR, eiarinos). Eirénè est l’une des trois Horai, déesses des saisons et gardiennes des portes du paradis. Ses sœurs étaient Eunomia (la justice humaine dans son aspect légal, c'est-à-dire la Loi et l'Ordre) et Dicé (ou Diké « Δίκη » / Dikê) qui est une divinité de la mythologie grecque, personnifiant la justice humaine dans ses aspects moral et pénal. Son ennemi était Polemos « Πολεμοσ »(le désordre) à ne pas confondre avec Eris, déesse de la Discorde et Arès, dieu olympien de la guerre. Les statues de l’art classique la représentent comme une belle jeune fille tenant dans ses bras l’enfant Ploutos, dieu allégorique représentant la Richesse et la Corne d’abondance. D’autres statues la représentent comme une jeune femme tenant dans la main gauche, une corne d’abondance et dans l’autre un rameau d’olivier, un flambeau renversé ou le caducée d’Hermès, dieu protecteur des voyageurs et des voleurs. Elle porte souvent des épis de maïs symbolisant la richesse et la prospérité. On peut voir aussi Ειρήνη (Eirénè) représentée en train de brûler une pile d’armes. Elle déteste la vue du sang c’est pourquoi on lui fait des sacrifices avec des fruits. Ou tous sacrifices non sanglant le seizième jour du mois Hécatombeion. Des lieux de culte lui ont été dédié à Athènes, où sa statue la représente tenant Ploutos enfant dans les bras, cette statue se trouve près de celle d’Amphiaraus, l’autre a été construite auprès de celle d’Hestia, déesse grecque du Foyer. A Rome, Auguste lui consacra en 139 av. J.-C., au Champ de Mars, le grand autel de la Paix Auguste; en l’an 75, Vespasien dressa à la déesse, au Nord-Est du Forum, un temple magnifique, ceint d’une esplanade, le Forum de la Paix. Le mythe dit qu’elle voulut garder sa virginité mais Zeus la força à l’épouser. Abordons à ce stade de notre propos l’étymologie du mot paix. De la paix, nous pouvons dire, en paraphrasant ce que Pascal écrit du bonheur, que tous la cherchent…même ceux qui font la guerre. Disons brièvement que le mot vient du latin pax. Il est dérivé du verbe pango, -ere-, qui signifie « planter, enfoncer, établir » (par exemple des limites). Mais aussi « écrire » (des œuvres). Cette racine nous indique en quel sens les Anciens entendaient la paix : comme quelque chose qui n’est pas donnée, mais que l’on fait, par un geste, quelque chose qui n’est pas fragile mais solide ou durable, quelque chose qui passe par des mots, et spécifiquement par des mots écrits, un « pacte ». Selon l’Abbé Patrice Jean Aké, enseignant à l’Université Catholique d’Afrique de l’Ouest à Cocody dans une intéressante communication intitulée justement « Qu’est-ce que la paix (5)» d’après le Dictionnaire étymologique d’Albert Dauzat, le mot ˋˋpaixˊˊ s’écrivait pais et a été introduit dans la  langue française du XIIe siècle dans La chanson de Roland. Le mot ˋˋpaixˊˊs’est écrit avec x, d’après le latin, et à l’accusatif est devenu pacem. Dans le Nouveau dictionnaire latin-français, pax veut direˋˋpaixˊˊ et à de multiples usages comme faire la paix avec quelqu’un, avoir la paix, conclure la paix, vivre en paix. Ainsi la paix va de la paix entre les citoyens à la paix de l’âme. Pour Dominique Pire : « Définissons la paix positive comme étant le commencement de la compréhension mutuelle, du respect et de l’appréciation de l’autre en tant que différent de nous. La paix positive, c’est que j’appelle la coexistence des esprits et des cœurs. La définition de la paix positive que je viens de formuler vaut tout autant pour la paix entre groupes, nations, blocs, etc., que pour la paix entre individus.(6)»
Bien prétentieux serons-nous si nous prétendions avoir épuisé l’analyse de cette question. Au terme de cette humble réflexion, nous voulons dire simplement que nous avons voulu contribuer autant que peut faire ce peut aux efforts des acteurs de promotion pour une paix durable dans le monde. Nous savons bien les limites de cet article, nous sommes bien conscient que le lecteur aurait bien voulu lire nos propositions concrètes pour la construction de cette Paix. Car à l’évidence c’est le plus urgent actuellement dans cette « société de belligérance, de défiance et de méfiance » qui se voit dans notre pays. Si le temps nous le permet, nous le ferons occupé à l’achèvement de nos nombreux tapuscrit. Nous espérons tout au moins que cette réflexion vous fera prendre conscience de la nécessité et de l’indispensabilité de Penser la Paix dans ses différents aspects.
Permettez-nous donc cher Lecteur de terminer par ces deux célèbres pensées qui m’inspirent chaque jour :
« Notre Vie de chaque jour est notre Temple et notre Religion » Khalil GIBRAN, Peintre, Poète et mystique musulman.
 « Sois le Changement que Tu veux voir dans le Monde. » Mahatma GANDHI, apôtre de la non violence




NOTES

(1)- « Le sage n’affirme rien qu’il ne soit en mesure de prouver »
(2)- MORIN Edgar, Pour entrer dans le XXIè siècle, Paris, Seuil, 2004, p. 341
(3)-Cf. COMMELIN Pierre, Mythologie grecque et romaine, Paris, Pocket, 1994, quelques divinités allégoriques pp. 423 à 442. Voir également la pièce théâtrale d’Aristophane, La Paix, écrite en – 431 dont Trygée est le héros. En pleine guerre du Péloponnèse, le vigneron athénien Trygée, monté sur un escabeau pour demander aux dieux le moyen de mettre fin à la guerre, escalade l’Olympe. Il apprend que Polemos, a jeté Irené, la Paix, au fond d’une caverne. Aidé par ses concitoyens, il réussit à la délivrer et laisse éclater sa joie tandis que se désolent les marchands de casques, de trompettes et de javelots.
(4)- Horai signifie ‘’portion de temps’’, ‘’saison’’, ‘’heure‘’. Les Horai sont les gardiennes des portes de l’Olympe, les déesses des saisons et ce sont elles qui découpent le temps en portion. Elles sont les déesses de l’immortalité et les gardiennes du nectar et de l’ambroisie, boisson et nourriture des dieux. Eunomia, Diké et Eirénè. Elles ont sont particulièrement honorées par les agriculteurs.
(5)- Abbé Patrice Jean Aké, « Qu’est-ce que la paix ? », in Paix, Violence et Démocratie en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2003, pp. 267 à 277. (Actes du colloque d’Abidjan, du 9 au 11 janvier 2002)
(6)- Dominique Pire, Bâtir la paix, Bruxelles, Verviers, Gérard & Cie, 1966, p. 61





(*) Extrait du tapuscrit d'un livre en préparation, Pour l'Avènement de la Paix en Côte d'Ivoire.

(*)Publié par le quotidien gouvernemental Fraternité Matin en deux parties en ses numéros 14.329 et 14.330 du samedi 1er et lundi 3 septembre à la page 3 dans sa rubrique « Débats et Opinions »


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