Internet pose aux démocraties africaines un problème et un projet
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Hannah Arendt, philosophe politique, écrit : « La pensée
elle-même naît d’événements de l’expérience vécue et doit leur demeurer liée
comme aux seuls guides propres à l’orienter.» La réflexion ici déployée est
née du fait suivant : le 8 décembre 2014, M. Coulibaly Mamadou, commerçant
de profession, a sollicité et obtenu une audience avec le Président de
l’Assemblée nationale (PAN) de Côte d’Ivoire Guillaume Soro. Et ce, après
seulement quelques minutes d’échanges sur Twitter avec ce dernier. Ce
qui nous amène à poser le rapport de la Démocratie à Internet.
Les opportunités
politiques d’Internet
L’idée
qu’internet puisse être un instrument de progrès politique n’est pas nouvelle.
A l’époque de la crise de la représentation démocratique internet suscite l’espérance
d’une revitalisation des systèmes politiques. Dans son ouvrage La démocratie Internet. Promesses et limites,
le sociologue Dominique Cardon écrit que « Le développement d’internet bouleverse notre conception et notre
pratique de la démocratie. A l’heure du numérique, la démocratie a changé de
visage. Internet ne permet pas
seulement de communiquer davantage, il élargit formidablement l’espace public
et transforme la nature même de la démocratie. (1) » Quant à Isabelle Falque-Pierrotin, Conseiller d’Etat en
France et Présidente du Forum des droits sur l’Internet, dans une communication
intitulée «Qu’apporte Internet à la
démocratie ? Est-il une aide ou un danger ? » présentée
devant l’Académie des Sciences Morales et Politiques le 11 octobre 2010 elle
affirmait ceci : « Internet est devenu un puissant outil de
contre-pouvoir. Il faut réaliser qu’internet façonnera les
démocraties du 21e siècle et non l’inverse. On ne pourra pas gouverner au 21e
siècle comme au 20e siècle.» A notre avis internet à trois atouts majeurs
dans son rapport à la démocratie en Afrique. D’abord il offre l’opportunité de
la diminution des coûts de diffusion de l’information permettant la vigilance
des citoyens quant au contrôle de l’action publique. Ensuite internet facilite l’action
politique en réduisant les contraintes (manque de temps, distance entre
individus) qui entravent habituellement l’engagement civique. Enfin internet est
un lieu de débat, une réplique électronique de l’agora athénienne par de
nouvelles formes de participation politique. « La parole publique ne reste plus sans réponse, dans une posture
d’autorité imposant à son public silence et déférence. Elle peut désormais être
commentée, critiquée, raillée, transformée par un grand nombre de personnes
autrefois jugées inaptes ou ignorantes. (2)» Internet favorise une interaction plus grande entre
gouvernants et gouvernés et permettrait aux citoyens de participer à la vie de
la cité et annoncerait donc l’émergence d’une cyberdémocratie (ou e-démocratie)
et du cybermilitantisme(3). Des personnes qui partagent un
intérêt commun peuvent débattre sur tous les sujets et même entrer en contact grâce
aux réseaux sociaux (facebook, twitter...) La révolution numérique, qui
s’accélère sous nos tropiques, est donc une aubaine dans la mesure où elle
offre de nouvelles opportunités à la classe politique et à la population en
contexte démocratique.
Limites
de la « démocratie internet » ou cyberdémocratie (e-démocratie)
Internet a des inconvénients et peut agir
négativement sur notre démocratie. Il est inutile de disserter ici sur les méfaits de la
cybercriminalité sur notre économie et l’image de notre pays à cause de
l’action des « brouteurs ». Disons que la première limite à
l’éclosion d’une cyberdémocratie est le pourcentage de la population pouvant
accéder à internet vu le taux encore important des personnes ne sachant ni lire
ni écrire à plus forte raison pouvant aller sur internet. La « fracture
numérique » encore forte faisant que l’utilisation
d’internet est réservée à une minorité s’y connectant régulièrement. La deuxième limite est celle que Tzvetan
Todorov développe dans son dernier livre Les
ennemis intimes de la démocratie (Robert Laffont, 2012, 271 p.). Pour ce
dernier, une société où l’hypermédiatisation de la vie publique règne court le
grand risque d’une manipulation permanente de l’opinion donc du citoyen par la
classe politique via les médias. Or internet est sous la gestion politique des
gouvernants qui peuvent en contrôler
(interdire) l’accès comme les sites autorisés à être visités. La troisième
limite est celle de l’encadrement juridique d’internet et de ses utilisateurs.
S’il est vrai qu’internet offre une grande liberté d’échange, de critique et de
mobilisation il est évident que tout n’y serait pas permis en terme de
divulgation de rumeurs et d’information touchant à l’ordre public et à la
sécurité de l’Etat. Il ne faudrait donc pas qu’Internet soit un média sans contrôle
démocratique car en s’affranchissant
des frontières, il pose le problème du contrôle des serveurs et des sites comme
des usagers.
En cette année électorale puisse le personnel politique ivoirien être à
même de saisir l’opportunité politique d’internet. Le fulgurant développement d’internet
nous impose l’urgence d’en comprendre les enjeux et d’en penser le rapport à
notre démocratie.
NOTES
2) Dominique
Cardon, La démocratie Internet pp. 10-11
3)» Dominique Cardon, «
Vertus démocratiques de l’Internet », URL : http://www.laviedesidees.fr/Vertus-democratiques-de-l-Internet.html, lien
consulté le 31 décembre 2014 à 22 h 40 mn