Une partie de l'assistance des jeunes aux 3ème " Assises de la Jeunesse ivoirienne " du 28 octobre au 1er novembre 2013 |
La Jeunesse :
débat autour d’une définition
Selon le mot de Pierre Bourdieu,
« la jeunesse n’est qu’un mot (1) ». Pour ce dernier la jeunesse est
un enjeu de lutte de pouvoir et les divisions d’âges sont donc arbitraires.
Issu du terme latin juvénis, la jeunesse
pourrait se définir comme étant une transition, un état d’esprit une dimension
d’évolution. Selon les Nations Unies la jeunesse est un groupe social dont les
membres ont entre 15 et 24 ans inclus. Cette définition a été donnée pour
l'Année Internationale de la Jeunesse en 1985. Toutes les statistiques
onusiennes sur la jeunesse sont basées
sur cette définition. De cette définition, les enfants sont les personnes qui
ont au plus 14 ans. Il est cependant à noter que l'Article 1 de la Convention
des Nations Unies sur les Droits de l'Enfant définit "enfants" les
personnes jusque l'âge de 18 ans. Cependant, la définition opérationnelle et
les nuances données au terme "jeunesse" varient souvent de pays en
pays, selon les facteurs spécifiques socio-culturels, institutionnels,
économiques et politiques. Au sein de la catégorie de la
"jeunesse" il est aussi important de faire la distinction entre les
adolescents (13-19) et les jeunes adultes (20-24), car les problèmes
sociologiques, psychologiques et de santé auxquels ils font face, peuvent être
différents. On comprend donc aisément l’ambigüité quant à la définition du
terme de jeunesse. Pour ce qui est du cas précis de la Côte d’Ivoire les
statistiques existantes confirme le constat d’une population « majoritairement
jeune » avec 34. 9 % de moins de 15 ans et 5, 9 % de moins de 25 ans
(2). La population ivoirienne est donc
composée de 79, 34 % de moins de 35 ans (3). Revenons aux deux grands symboles
du « drame de la jeunesse ivoirienne » : le broutage et les
grossesses en milieu scolaire.
Les faits
Samedi 7 juin 2014 : le journal ivoirien Soir Info (N° 5908), spécialisé dans les
faits et méfaits, titre en co-une
« un élève de 6ème enceinte 3 filles de sa classe ». Selon
Norbert N’Kaka, l’auteur de l’article en question, il s’agit d’un élève
répondant aux initiales de L. Z. W., élève de 15 ans inscrit en classe de 6ème
7 au lycée moderne Usher Assouan. « il
ressort que L.Z.W qui n'est pas un élève brillant en classe, passe le clair de
son temps à séduire les filles de sa classe avec des espèces trébuchantes et
sonnantes aux origines douteuses. » Ce fait aurait pu être simplement
anecdotique s’il n’avait pas un lien avec la situation spécifique de l’école
ivoirienne. Précisons que le fait n’est pas nouveau même si nous devons
reconnaitre qu’il s’est aggravé. Déjà en 1988 on faisait état de plus de 900
cas (4) et de 1200 cas en 2008. En effet, selon chiffres disponibles, l’année
scolaire 2012-2013 s’est soldée avec un bien triste record de 5. 076 cas de
grosses qui se sont repartissent comme suite : primaire 965 cas dont 49 au
CE2 contre 2. 214 cas au secondaire. Cette situation s’explique par plusieurs
facteurs. Les trois principaux nous semble d’abord le problème de logement car
faute de résider en famille ou chez des tuteurs, les élèves se regroupent
souvent dans des foyers ou des maisons de location où ils sont livrés à
eux-mêmes. 80% des élèves des départements de Daloa et Bouaflé, au centre ouest
de la Côte d’Ivoire vivent dans ces conditions. Ensuite la distance qui sépare
les élèves de leur habitation à l’école. Si ces causes énumérées ci-dessus sont
déterminantes il faut ajouter enfin la « crise des valeurs » et la
perte de repères dont souffrent les jeunes ivoiriens à l’instar d’autres jeunes
africains. Les jeunes ont perdu leurs repères devant l’inexistence de valeurs
reconnues, promues et partagées par toutes les composantes de la société.
L’absence de modèles, la dévalorisation de l’effort des jeunes, la promotion
des médiocres font que les jeunes s’identifient à des valeurs étrangères, sans
consistance, véhiculées dans les NTIC, les séries télévisées, les journaux etc.
quant on voit d’importantes personnalités publiques ayant acquis un confort
matériel « insolent » sans véritable « mérite » ni
« véritable » effort on se demande quel message voudrait-on faire
passer à la jeunesse ivoirienne. Lorsqu’à longueur de journée l’on montre à la
télévision, sur internet, dans les journaux ou sur les affiches des publicités
de nouvelles marques de produits de beauté, des portables de dernières
générations ou des boissons avec comme cible principale les jeunes filles, où
voudrait-on que celles-ci trouvent les moyens de s’en procurer ? Quant on voit des personnes ayant acquis un
confort matériel « insolent » sans véritable « mérite » ni
« véritable » effort grâce à un « travail honnête » et
l’excellence ne peuvent plus être considérés comme des valeurs par les jeunes.
A ceci s’ajoute la démission
des familles et la crise de l’éducation. La pensée des jeunes ivoiriens pourrait
être résumée par les propos de ce jeune apprenti-chauffeur
d’Abobo : « …pour moi, ce qu’il me faut, c’est avoir une
situation quelque soit le prix à payer. Ceux qui nous parlent de valeurs, sont
tous de voleurs alors pourquoi, moi je dois marcher avec des valeurs alors que
eux ils sont pourris et qu’ils ont tout le fric ? La seule valeur qui
compte, c’est le fric (5)». Triste réalité ! Hélas !
Le broutage,
cette forme de cybercriminalité dont la jeunesse ivoirienne s’est faite une
spécialité a récemment fait une bien curieuse publicité à notre pays après le
cacao. Les chiffres en la matière sont plus qu’alarmant : 3,3 et 3,6 milliards
de francs CFA de préjudice dont se sont fait coupables les « célèbres brouteurs
d’Abidjan » respectivement pour les années 2012 et 2013. Ces ‘’brouteurs’’,
parmi lesquels l’on retrouve de nombreux élèves et étudiants, devenus des «
génies » de l’arnaque opèrent depuis les cybercafés dans des quartiers bien
précis tels que : Port- Bouët, Marcory, Koumassi, Treichville et Yopougon avec
souvent la complicité de gérants de cybers qui sont parfois eux-mêmes des
‘’brouteurs’’. Pour répondre à cette menace nationale le gouvernement ivoirien
a dû créer la Plateforme de lutte contre la cybercriminalité (PLCC). Mais à la
vérité, à y bien regarder de près, le mal n’est seulement ivoirien car selon le
FBI, qui a placé, en 2010, trois pays africains parmi les dix premières sources
de cyberarnaques. Les « heureux élus » : le Nigeria (3e), le Ghana (7e), et le Cameroun (9e). Il ne serait pas étonnant si
notre pays se hissait dans le top 10 de
ce classement honteux tant les faits et gestes des brouteurs ivoiriens
inquiètent par le désordre social dont ils sont coupables. Deux exemples :
récemment des sms circulaient faisait état de ce que une jeune fille se serait
métamorphoser en serpent à Grand-Bassam et une autre en crapaud à Koumassi après avoir ramassé des billets de banque. Il
était fait injonction à tous de ne plus ramassé des billets de banque quelque
soit le montant car ce serait les nouveaux genres de sacrifices des brouteurs
afin d’être plus efficaces dans leur métier. Une autre information faisait état
des crimes rituels que ceux-ci feraient dans le même objectif. Plusieurs
enfants notamment à Bonoua ont été victime de ces mêmes brouteurs. Devant les
dégâts sociaux, le préjudice économique de plus en plus important et face aux
énormes menaces qui pèsent sur non seulement sur l’économie numérique
ivoirienne et sur la crédibilité et l’image même de notre pays il est impérieux
que les autorités prennent le taureau par les cornes. Il est encourageant que
la loi 2013-451 relative à la lutte contre la cybercriminalité ait été prise
mais il faut que des décentes musclées surprises de la police soient faites
dans des cybercafés où de forts soupçons de haut lieux de broutage sont
alléguées. Donner la possibilité d’interpeller des jeunes dans des quartiers où
c’est une notoriété publique et dont ils s’enorgueillissent de leurs prouesses
en postant sur leur page facebook des photos avec des sommes forts importantes
en liasses de billets.
On peut l’affirmer donc sans ambages et sans grand
risque de se tromper la jeunesse est dans un pays comme la Côte d’Ivoire certes
une très grande opportunité et représente donc à n’en point douter un atout ou
un avantage majeur pour son développement. Mais n’oublions surtout pas que
c’est aussi une grande menace dont nous sous-estimons très souvent les
inconvénients. Car « C’est une force qui peut être explosive et émancipatrice,
mai aussi ravageuse et destructrice quand elle est rejetée et ghettoïsée. » (S.
HESSEL, E. MORIN) Il faut donc que les pouvoirs publics en font une priorité
pour que véritablement notre pays puisse atteindre l’émergence à l’horizon 2020
tant prônée par le chef de l’État et une « terre d’espérance » selon les vers
de notre hymne national. Comme l’écrit Joseph Ki-Zerbo : « Une société qui renonce à prendre en charge sa jeunesse et à la doter
des outils d’une promotion optimale, enterre son propre avenir. C’est une
société suicidaire. ».
Ceci est une alerte car le sort le
la Jeunesse ivoirienne pourrait être l’obstacle majeur sur le chemin de
l’émergence. Comme dit le proverbe
burkinabé « Si nous nous couchons, nous sommes
morts »
NOTES
(*) Extrait d'un
ouvrage à paraître : « La Côte d’Ivoire m’inquiète : essai de
réflexion sur le mal ivoirien ». Contribution publiée par le journal
gouvernemental Fraternité Matin, N°14. 878, du samedi 5 et dimanche 6
juillet 2014, p. 3 dans la rubrique « Débats et Opinions »
Sur mon BLOG : http://lepenseurdavenir.blogspot.com/2014/07/le-drame-de-la-jeunesse-ivoirienne_4.html(**) Sur le site (francophone) du THINK TANK Ghanéen IMANI à ce lien :
(***) Sur le site du THINK TANK ivoirien INSTITUT Association Internationale Afrique Survie (AIAS)
(1) Cf. Fraternité Matin, N° 7. 523, du 5
novembre 1989
(2)
Bourdieu Pierre, « La jeunesse n’est
qu’un mot », in Questions de
sociologie, (1984) Éditions de Minuit, Ed. 1992 pp.143-154.
(3) Cf. p.
9 de la « Situation de l’emploi en Côte d’Ivoire en 2012 » de l’AGEPE, Mai 2013
(4) Cf. p.
7 du « Rapport général des Assises de la jeunesse ivoirienne 2013 » tenues du
28 octobre au 1er novembre 2013. Nous étions membre de la «
Commission communication » du Comité d’organisation
(5) DJIE
Ahoué, La jeunesse ivoirienne face à la
crise en Côte d’Ivoire, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 105